Interview réalisé par Anne Postaire, chargée de production de l’Arcal, début septembre dans l’atelier de couture de l’Arcal.
Deux silhouettes chaque matin entrent dans le bureau, disent « Bonjour ! », prennent discrètement la clé de l’atelier de l’Arcal, et s’en vont, dans le fond de la cour où, avec leurs doigts de fée, elles imaginent les costumes de La Petite renarde rusée…
Sur leur grande table de travail, que de matières colorées, douces ou rugueuses, textiles, feutrines ou cartons, mousses ou polystyrènes !
Une vieille radio accompagne Julia Brochier et Louise Bentkowski, ces talentueuses qui découpent, cousent, collent, font un ourlet puis recommencent pour donner corps à leurs idées. L’atelier de l’Arcal devient une caverne regorgeant d’accessoires et de costumes, et on voudrait bien décrocher 5 minutes de nos ordinateurs pour aller jouer, comme quand on était enfant…
Tout en coupant, cousant, collant, Louise et Julia ont répondu à quelques-unes de nos questions…
AP : Cela veut dire quoi costumière ? Est-ce que cela veut dire imaginer, dessiner, coudre les costumes, maquillages, perruques, etc… ?
Julia : C’est un peu tout cela à la fois, cela dépend des projets. Et la façon dont on va travailler va dépendre des projets. On peut créer des costumes à partir de maquettes (dessins) ou à partir d’habits existants (ou silhouettes). Sur la Renarde, comme on va travailler à partir d’éléments qu’on va trouver et non pas créer, on ne va pas dessiner des costumes, mais partir d’éléments réels, que nous retravaillerons si besoin est.
AP : Comment cela se passe au départ pour comprendre le projet de la metteur en scène ?
Julia : On discute avec la metteur en scène, au cours de plusieurs rendez-vous, pour comprendre son projet et ses idées, cela se fait aussi avec des visuels, l’utilisation de références communes, puis rapidement on effectue des recherches, on fait des essais pour proposer quelque chose, c’est-à-dire on fait une maquette* ou des silhouettes*, pour voir si on s’est compris.
Avec Louise [Moaty], on a discuté du caractère du personnage, de son rapport aux autres personnages sa place dans histoire, son statut social.
Au préalable il existe un univers partagé, qui facilite la transmission et l’échange des idées avec la mise en scène. C’est difficile de travailler avec quelqu’un dont on ne partage pas l’univers, ou dont on ne comprend pas le projet. Par exemple, je suis arrivée sur le projet de Renarde car Adeline [Caron, la scénographe] connaissait mon travail, et savait que cela me plairait.
Louise : Et puis aussi on met forcément du sien dans ce que l’on fait, et on s’investit, d’autant plus dans un projet comme celui-ci ou il y a à la base des idées mais rien de déterminé. Louise n’a pas fait de dessin en disant « je veux ça », elle a transmis des idées d’univers, de matériaux etc.., du coup on peut imaginer ensemble ces costumes et faire des propositions.
Julia : Par exemple, pour la Renarde, les fonds qu’a choisit Louise Moaty, que sont les tableaux d’Egon Schiele influencent beaucoup la recherche effectuée pour les costumes, ainsi que le coté artisanal qui est un véritable parti pris de Louise.
Adeline (la scénographe) avait défini, pour chaque personnage des « planches d’inspiration », sorte de « référence » en termes d’ambiance, de matériaux à utiliser pour chaque personnage. On a fait des silhouettes pour chaque chanteur, un essayage surtout pour chaque personnage, qui ont été validés / complétés par la mise en scène. Les essayages effectués cette semaine nous ont montré que l’univers et les matières que nous travaillons vont dans le sens de ce qu’a imaginé Louise, du coup nous sommes très contentes !
Louise : Ici il s’agit d’un travail particulier, car il y a le vecteur « vidéo » : par exemple, il y avait des éléments qui avaient été validés par Louise, qui ne le sont plus une fois mis en lumière et incrustés dans la vidéo. Cet élément d’incrustation est inhabituel, et c’est une composante de plus à prendre en compte dans notre travail. A l’heure actuelle on a de bonnes bases au niveau costumes, qui vont évoluer avec le travail de lumière et d’incrustation vidéo qui est en train de se faire à Etampes.
Julia : Donc on n’a pas encore fixé définitivement la question des costumes. Cette étape du travail est faite d’allers-retours entre le plateau et l’atelier, pour « mettre en jeu » le costume et voir si cela fonctionne : cela peut être des contraintes esthétiques, pratiques (costumes qui ne permettent pas de se mouvoir dans le décor par exemple), etc… Ici nous avons des contraintes techniques imposées par la vidéo et le « direct » sur le plateau, et ces contraintes sont nouvelles pour nous.
AP : Ce que vous me dîtes c’est que vous imaginez de choses à partir d’un échange le plus souvent verbal, c’est loin d’être simple…
Louise : Tous les gens qui travaillent autour d’un metteur en scène généralement ont cette même démarche.., autant en scénographie qu’en lumières, que pour la création des costumes.
Julia : Une création de spectacle c’est ça en fait, d’arriver à comprendre ce que le metteur en scène a dans la tête, et être ses traducteurs/trices !
AP : donc cela veut dire que les costumières sont inspirées par…
Julia : Les gens dans le métro, la culture, en se promenant, à la télévision, cela dépend des costumières, on peut se nourrir de tout !
AP : et du coup, une fois que les costumes seront prêts, vous allez habiller, maquiller, etc... les artistes durant le spectacle ?
Julia : Après la création du costume, c’est un autre métier, c’est mieux de collaborer avec d’autres personnes, je trouve que cela enrichit le costume. Une fois qu’il est prêt, tu transmets à une autre personne qui est en charge de la coiffure, du maquillage, avec des idées pour orienter, mais c’est à elles de créer autour de cela aussi.
Une fois le costume prêt, on passe la main aux habilleuses, personnes qui vont s’occuper du costume durant les représentations, la tournée etc... Mais on ne lâche pas le costume puis on s’en va ! Durant une partie de la création on va transmettre aux habilleuses les spécificités du costume.
AP : Les au revoir sont difficiles ?
Julia : C’est difficile, oui, mais en même temps c’est un accomplissement, que tous les soirs il y ait un public qui vienne voir le spectacle. Et puis on revient voir le spectacle, voir comment les artistes se sont appropriés leur costume. Cela se voit, je trouve, ils sont plus à l’aise dedans, cela rayonne…
AP : Tu penses que la multiplicité des personnes qui interviennent sur une création de spectacle en créent la richesse ?
Julia : Absolument ! Le metteur en scène transmet à chacune des personnes avec qui il travaille son idée en matière de maquillage, coiffure, accessoires, etc.. Et chacune de ces personnes va agir sur le costume et son personnage, en l’enrichissant à chaque fois, ce qui va l’enrichir et le faire rayonner différemment aux yeux du public.
AP : Au cours de la création du costume, est-ce que, à travers le costume, vous entrevoyez le personnage ?
Julia : Oui, tout à fait ! Et le fait de voir les artistes en répétitions donne corps à ce que nous avons imaginé ! Parfois juste une blouse suffit à ce qu’un artiste incarne son personnage.
Il arrive également qu’on soit obligé de faire aussi avec des artistes « castés » pour leur voix, etc…, et qu’il ne corresponde pas aux caractéristiques physiques que l’on postulerait pour son personnage.
Louise : Du coup on peut, avec le costume, lui donner un caractère, en utilisant des codes. Je serais tentée de dire que le costume « définit » pas tant pour le public, mais plutôt pour l’artiste qui le porte ; le costume va l’aider à camper, « porter » son personnage.
Les costumes sont toujours en rapport avec le décor, les lumières. Il n’y a pas de prégnance d’un élément ou d’un autre, que les costumes soient contradictoires ou qu’ils aillent dans le même sens que l’univers imaginé, ils ont un rapport avec l’idée développée avec la mise en scène.
Lexique :
Intentions de mise en scène : idée de époque, endroit, milieu ou le metteur en scène veut situer le spectacle.
Silhouette : ébauche de costume, avec des pantalons, vestes
Maquette : ébauche miniature du décor
Intention de mise en scène : une idée de époque, endroit, couleur dans lequel va s’inscrire le spectacle
Suivez en direct la création de La Petite Renarde Rusée, des premières répétitions musicales dans nos studios aux essais techniques en passant par la création des costumes.
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